Qui sont les gens qui sont impliqués dans une pratique spirituelle d'un point de vue sociologique ? Presque les trois quarts sont des femmes. Ils ont entre 18 et 80 ans, rarement plus, avec un maximum entre 35 et 50 ans. Cela permet de faire un lien avec la "crise du milieu de la vie" dont parlait CG Jung, qu'il situait autour de 35 ans. Quels sont leurs milieux socioculturels et professionnels ? A peu près tous semblent représentés, mais on y trouve une sur-représentation des soignants, des enseignants également mais dans une moindre mesure, et peut-être des artistes.
Quel est leur niveau évolutif, c'est-à-dire à quel niveau de fonctionnement psychologique peut-on les rattacher lorsqu'ils commencent à méditer ? Disons tout d'abord que selon cette estimation, presque un quart ont fait une psychothérapie avant de commencer une pratique spirituelle. Une bonne minorité d'entre eux, environ 30%, sont des personnes dites "peu structurées" : si je prends la classification psychiatrique usuelle on y inclura des personnalités borderline, borderline-névrotiques et borderline pré-psychotiques (...)".
Presque trois quarts des adeptes sont des femmes, nous dit Wulliemier. Vérification faite, c'est bien le cas en Europe. La proportion diminue au fur et à mesure que l'on grimpe dans la hiérarchie : deux tiers des précepteurs et seulement la moitié des vice présidents sont des femmes, pour un comité du président à 100% masculin et un maître président qui ne pourra jamais être une femme, dixit Rajagopalachari. En revanche, en Inde, la proportion s'inverse et on n'a plus qu'un quart des précepteurs qui sont des femmes.
Le divorce entre l'Inde et l'Occident est flagrant, la population du Sahaj Marg est clairement scindée en deux, à la fois socialement et psychologiquement. D'un côté un monde encore très patriarcal et des précepteurs indiens attirés par les feux du pouvoir et de l'argent, où approcher Rajagopalachari, c'est intégrer un réseau de relations bien placées, des cercles politiques et financiers jusque là inaccessibles, dans l'espoir de profiter de retombées personnelles providentielles. De l'autre, un monde occidental très largement dominé par des femmes en milieu de vie, souvent seules, séparées ou divorcées, vieilles filles ou mères célibataires, dans une quête très égocentrique d'un équilibre affectif.
Ferdinand Wulliemier nous dit que toutes les professions sont représentées, même si certaines sont plus fréquentes. Il n'y a effectivement presque aucun ouvrier ou agriculteur. La spiritualité ne motive pas le secteur primaire de la production, alors qu'elle envahit les secteurs des services ou de la création, et tout particulièrement les services aux personnes. Le monde médical et para-médical comme l'éducation, l'enseignement et la formation, le développement personnel, le bien-être ou la création artistique grouillent d'adeptes du Sahaj Marg. Explication rapide, sans doute simpliste, ils sont plus que d'autres en prise directe avec tout ce que produit la misère humaine, donc plus enclins à succomber aux sirènes d'un mieux-être spirituel.
Ferdinand Wulliemier nous dit aussi que près d'un tiers des adeptes sont des personnalités peu structurées, borderline en langage psychiatrique, et ont fait une psychothérapie. A tel point que Rajagopalachari s'en inquiétait déjà le décembre 1992 : "(...) nos précepteurs doivent être très prudents quand ils admettent de nouveaux abhyasis, afin de veiller à ne pas avoir ici des gens qui ne peuvent être aidés. Je fais tout spécialement allusion aux personnes qui ont des problèmes mentaux, et qui ont subi une thérapie dans des hôpitaux ou cabinets psychiatriques. Les cas de ce genre sont de plus en plus fréquents (...)."
En 2008, Ajay Kumar Bhatter le constate lui aussi, s'étonnant parce que "de nombreux précepteurs européens ont des problèmes de dépression". Les choses ne se sont donc pas arrangées. Et pourtant, le manuel de formation des précepteurs dit que "(…) la transmission peut aggraver les problèmes mentaux de telles personnes et même dans certains cas entraîner des tendances suicidaires". Des adeptes indiens confirment que la méditation selon le Sahaj marg a provoqué chez eux des hallucinations, des troubles maniaco-dépressifs ou même la folie.
Le 14 mai 2009, Ferdinand Wulliemier intervient devant le 20ème Congrès du GRAAP (Groupe Romand d'Accueil et d'Action Psychiatrique) à Lausanne, pour dire en substance que la dépression constitue une opportunité pour transcender les stades évolutifs vers la fusion avec le divin.
En clair, les adeptes recrutés par la Shri Ram Chandra Mission sont souvent des personnes psychologiquement fragiles, la méditation peut accroître leurs problèmes psychologiques jusqu'à la folie ou au suicide, mais c'est une opportunité pour mieux atteindre le but final du Sahaj Marg, et donc guérir de la dépression. En d'autres mots, on y entre dépressif, la méditation accroît la dépression, mais si l'on suit l'enseignement à la lettre, on guérit de la dépression.
Les innombrables courriers d'adeptes envoyés au maître montrent leur incroyable détresse affective, familiale et sociale. En ce sens, ils constituent un bon échantillon des dégâts collatéraux engendrés par le monde moderne. Plutôt que de chercher les solutions à leur mal-être dans les défauts de la société elle-même, en se battant pour la faire évoluer, ils se tournent vers une solution spirituelle intérieure promise par Rajagopalachari, s'excluant ainsi définitivement du monde extérieur.
Le Sahaj Marg fixe le but ultime dans la fusion avec le divin, à condition d'obéir et servir le maître en tout et pour tout. C'est ce qu'ils appellent l'évolution involutive, l'invertendo, où le maître devient le père, la mère, etc. Uniquement centrés sur leurs malheurs, les adeptes se concentrent sur leur relation exclusive avec le maître. Le chemin pour parvenir au but ultime devient alors plus important que la fusion avec le divin. Cela permet d'oublier les soucis et frustrations du quotidien de l'adulte pour retrouver la fraîcheur et l'insouciance de l'enfance, une régression vers les années d'innocence où l'adepte n'a plus qu'à adorer son papa. Les moyens ont remplacé la fin.
Les adeptes ont donc transformé le Sahaj Marg en une solution égocentrique à leur mal-être, un équilibre fragile où Rajagopalachari leur sert de béquille psychologique. Le Sahaj Marg n'a plus rien à voir avec la spiritualité, il est devenu une simple technique de recherche d'un mieux-être intérieur, reposant sur l'abandon total à un maître qui ne demande que ça.