Le gourou totalitaire

Les adeptes recherchent une relation exclusive avec leur gourou, comme les midinettes groupies fans d'une star dressent un culte autour de sa personnalité. Grisé par son pouvoir, Rajagopalachari réclame qu'ils s'abandonnent toujours plus à leur maître en entretenant une confusion malsaine entre maître et divin. Il les met à l'épreuve en s'amusant à leurs dépens, repoussant toujours plus loin les limites de son pouvoir grandissant.

D'une manière générale, les adeptes doivent obéir et servir leur gourou en tout et partout, instantanément, sans faire appel à leur savoir et leur sens critique, en un mot sans réfléchir. Plus précisément, il s'immisce peu à peu dans leur vie familiale la plus intime en brisant les couples pour en imposer d'autres, il détruit leur vie sociale en les détournant de leurs responsabilités et en imposant sa volonté à la place de la leur, et il succombe à l'attrait de l'argent. Un pouvoir qui n'a plus de limites ?

Rajagopalachari a pris goût à l'argent et sa soif, assez récente, est insatiable. L'attitude de ses adeptes confirme leur totale dépendance. Ils ne se révoltent pas, ne sont même pas choqués par ses propos. A l'inverse, ils sont heureux de l'avoir approché, quoi qu'il leur en ait coûté. Voici ce que le 18 novembre 2007 un adepte rapportait sur les célébrations des 80 ans de son guru :

Master conduisit le satsangh jusqu’à 9 h. 50 du matin (de 9 h. à 9 h. 50). Après le satsangh, le responsable du centre de Tiruppur raconta que Master fut arrêté par de très jeunes enfants, alors qu’il se rendait au hall de méditation. Ils tendirent un petit pot (en plastique) rempli de pièces de monnaie et ils dirent à Master « Utilisez cet argent pour le développement de votre ashram ». Alors Master dit : « Nos enfants savent parfaitement où est leur devoir. Ici aussi, nous avons besoin de contribuer au développement. » Aussitôt Master prit le micro et il déclara : « Je suis heureux de ce qui se passe ici et je suis heureux d’y être. Dans de nombreuses missions, l’usage est de donner un poids égal à celui du guru en or, et même quelquefois en diamants. Le guru peut peser 150 kg. La somme correspondante peut malheureusement être dépensée sans compter, en compagnie d’artistes de cinéma qu’il apprécie etc. Mais ici j’espère que vous pouvez tous donner comme ceci (il montre le pot qui devrait peser 5 kg). Donc, ne me pesez pas, s’il vous plaît donnez l’équivalent de ces 5 kg – mais à la seule condition qu’il n’y ait que des billets de 1000 roupies. Je veux que toute la surface de ce parc du Tiruppur DJ devienne comme un paradis : quiconque survole (par avion) ce site devrait être en mesure de voir ce paradis d’en haut.

M’aiderez-vous à développer cela ? »

Tous les abhyasis dirent « Oui, Master »

Master : « D'accord, passons maintenant à la donation elle-même. » Tous les abhyasis se précipitèrent vers Master avec des billets de 1000 roupies. Frères et sœurs à la fois formèrent une longue queue, remplirent complètement le hall et firent personnellement un don à Master. Master prit l’argent à chacun d’entre eux, en disant « Merci. »

Tous les abhyasis eurent une grande occasion de rencontrer Master en personne tout en donnant de l’argent. Plusieurs couples rencontrèrent Master pour qu’il les bénissent le jour du mariage, qu’il nomme l’enfant etc., ce qui arriva aussi dans la queue. Master plaisanta avec les enfants et donna du chocolat à chacun d’entre eux et dit : « C’est du chocolat très cher car maintenant il coûte 1000 roupies ici », et il plaisantait avec tous tout en collectant l’argent.

Master resta assis plus de deux heures. Une fois que tous les abhyasis eurent donné, Master dit : « Lorsque j’ai fait le Sarovar (château d’eau) ici pour ce site, beaucoup m’ont demandé pourquoi on l’appelait ainsi. C’est un KRIPA SAROVAR car aujourd’hui j’en ai tiré des centaines de poissons. Je suis extrêmement heureux de tous vous recevoir et de tous vous rencontrer. Je ne peux pas dire merci, mais je vous bénis tous. »


Ce fut un moment de grande joie et Master nous quitta après cela. Tous les abhyasis furent remplis de joie et ils eurent l’immense occasion de lui parler face à face, et Master prit la peine de rester assis plus de deux heures pour faire notre bonheur.

Rajagopalachari s'immisce aussi à l'intérieur de la vie familiale la plus intime de ses adeptes. Il détruit les couples qui ne lui conviennent pas et en façonne d'autres. Dans un couple, lorsque l'un des partenaires découvre le Sahaj Marg, c'est un ménage à trois qui commence. Rajagopalachari et le Sahaj Marg deviennent vite envahissants et l'issue est toujours la même. Si l'autre partenaire ne rejoint pas la Shri Ram Chandra Mission, éclatement de la cellule familiale, séparation et divorce sont au bout du chemin.

Mais Rajagopalachari ne fait pas que détruire les couples, il arrange aussi les mariages entre ses adeptes. Il aurait ainsi déjà célébré le mariage de plus de 4 000 d'entre eux. Il les marie au gré de ses envie, s'amusant à mélanger les nationalités et les origines sociales. C'est lui qui provoque les rencontres. Il peut toujours demander leur avis à ses adeptes, ils ont trop peur de lui déplaire en le contredisant et sont même souvent ravis qu'il se soit enfin occupé d'eux. Le maître, dans son infinie bonté, leur a désigné un partenaire. Que demander de plus ?

A titre d'exemple, Rajagopalachari demande à une jeune adepte européenne si elle accepterait de se marier à un adepte indien, et donc de vivre en Inde. Elle lui répond qu'il sait mieux qu'elle ce qu'il lui faut. Le soir même, le maître lui présente l'Indien nettement plus âgé qu'elle. Elle l'épouse quelques jours plus tard et écrit à sa mère que Rajagopalachari a eu la bonté de décider de ce qui était bon pour elle…

Le drame, c'est que les ennuis ne font que commencer. Pour un adepte, remettre en cause son union, c'est remettre en cause le choix de son gourou. Or c'est impossible, il faut vivre avec, ou bien commencer à douter des actes du maître, remettre en cause son infaillibilité, donc le renier. Ce n'est pas seulement une vie maritale qui s'effondre, c'est l'ensemble des croyances. Le piège psychologique est redoutable…

Ainsi, voici ce que disait Rajagopalachari le 12 octobre 2008 : "(...) So, seeing this happening in our own satsangh—increasingly marriages are getting troublesome. People get married here by the grace of my Guru, my Master, and they run into trouble. Some of them, fortunately only a few, the marriage is finished on the day of the marriage itself. So far we have had three cases. But it is a tragedy for me because, as Babuji said, even one drop of poison in a big vessel of milk means a big vessel full of poison. Here we don’t judge spiritual progress by success, we judge it by failure. And in that sense our marriages have failed too often for my comfort. Though my boys tell me, “Only three, saab [sir].” Should not have been even one.

So you see, when our people don’t appreciate the sanctity of a spiritual marriage, don’t understand why they are marrying in a spiritual assembly under a spiritual atmosphere, with a spiritual purpose, somewhere the teaching has been lost (...)".


Obéir et servir sont plus importants que la pratique déclare Rajagopalachari dans Salient Features N° 4. Extraits :

"(…) le meilleur disciple est celui qui est le plus obéissant. (…) le succès n’est pas du à l’éducation, ni à l’application, ni à la pratique, c’est seulement l’obéissance qui finalement, aujourd’hui reste dans mon esprit, comme le premier et seul facteur de notre développement spirituel.(…) En obéissant et en suivant l’instruction du Maître, pas seulement dans la sadhana spirituelle mais aussi dans tous les aspects de la vie, on en vient à réaliser que le Maître n’est pas seulement le Maître de la vie spirituelle, mais un Maître infiltrant tout avec un droit sur l’ensemble des fonctions humaines de quelqu’un. Le développement de cette attitude renforce l’attachement au Maître et commence à développer chez le disciple un sentiment de totale dépendance au Maître. (…) si vous réfléchissez à ce que le Maître dit, vous êtes déjà sur le chemin de la destruction. Vous ne devez pas penser, parce que si vous pensez, vous placez votre processus mental à l’opposé du Sien.(…) Faites attention à toute liberté, parce que la liberté est un concept illusoire. Elle n’existe pas. Il n’y a qu’une liberté, c’est celle d’obéir au Maître. (…) Quand nous sommes avec le Maître, nous ne devrions pas avoir de désirs – pas même pour un sitting, pas même pour un conseil, pas même pour des questions et réponses, rien ! Nous devrions être comme le chien qui est simplement heureux d’être aux pieds du maître et de regarder son visage ! (…) Le chien parfait mange seulement quand le maître le nourrit. Si un étranger vient et lui donne quelque chose, il ne le prendra pas. Si le Maître dit, « assis », et s’en va, trois jours après il doit encore être assis là. Quand il lui dit, « vient », il va avec lui. Il ne demande pas, « Où allez-vous ? Pourquoi y allez-vous ? Quand rentrerons-nous à la maison ? » (…) L’obéissance signifie le service du Maître. La manière de servir signifie la manière d’obéir. Je ne peux pas choisir de quelle manière je servirai mon Maître. Je le servirai de la manière qu’Il dit. (…) Qui sommes-nous pour juger ce que le Maître veut, pourquoi Il le veut ? Les abhyasis qui prétendent être dévoués doivent réaliser que l’obéissance est le premier signe de la dévotion et là où l’obéissance fait défaut, la dévotion ne peut être là. Et là où il n’y a pas de dévotion, je ne pense pas qu’il y ait aucune grande chance ou énorme occasion de s’élever vers des hauteurs spirituelles. (…) L’amitié ne devrait pas interférer pour un précepteur faisant son devoir envers un abhyasi. Là où l’amitié interfère avec la croissance spirituelle, alors une telle amitié doit être sacrifiée dans l’intérêt de son propre développement. (…) L’obéissance, au début, est une chose très difficile parce que cela signifie la servilité, la soumission de notre ego à une personne supérieure. Par conséquent, l’ego se rebelle. La désobéissance découle toujours d’une rébellion de l’ego. Mais les gens oublient que, vous êtes obéissant, vous n’avez plus de responsabilité pour ce que vous faites, ou ne faites pas, sous son commandement. (…) Nous ne suivrons pas quelqu’un que nous ne pouvons pas aimer. Nous pouvons obéir aux gens qui nous forcent à obéir, mais il y a toujours une rébellion intérieure. (…) Mais dans une obéissance orientée amour, il n’y a pas de rébellion, il n’y a pas d’angoisse, il n’y a pas de soumission de l’ego parce que nous le lui avons transféré (…) Aimez Le, obéissez Lui, suivez Le et soyez acquitté de tout de reste. (…) Il n’est pas facile d’aimer, mais il est facile d’obéir. Et c’est mon expérience que, si vous obéissez, simplement et continuez encore et encore, c’est plus facile que d’essayer d’aimer quelqu’un. (…) Et quand nous l’aimons absolument, nous lui obéissons absolument. Aussi un indicateur sûr de votre amour pour le Maître est le degré de votre obéissance, il doit y avoir un amour absolu derrière elle. Avec l’amour absolu, il y a dépendance absolue. Avec la dépendance absolue, il y a abandon absolu. (…) L’obéissance mène à l’abandon. (…) Quand une personne s’abandonne à un Maître, cela signifie qu’elle s’est abandonnée complètement de toutes les manières. Il est devenu simplement un instrument dans les mains du Maître. (…) Quand nous l’acceptons et Lui obéissons et travaillons pour Lui, et devenons comme Lui, Il est heureux. Ainsi l’obéissance, l’amour et l’abandon sont les trois faces de la même chose. (…)"

Obéir et servir le maître, voilà donc ce que réclame Rajagopalachari de la part de ses adeptes. Ne plus réfléchir ni penser, être dans une attitude de soumission et de dépendance absolues. Les adeptes conservent la seule liberté d'accepter une servilité totale ou non, sans plus aucune responsabilité, sur la voie d'un abandon total.

Le Sahaj Marg ne prône pas seulement la servilité et l’abandon total des adeptes au gourou. Cette attitude déborde aussi dans la vie sociale quotidienne. Ainsi, à la révolte légitime contre les imperfections du monde extérieur, Rajagopalachari privilégie de pseudos solutions intérieures au détriment de l’engagement social. Se changer soi devient plus important que de changer le monde. Le message est que nous participerons à l’évolution universelle uniquement grâce à notre évolution individuelle intérieure.

Ainsi, le dimanche 26 décembre 2005, deux heures après un vaste tremblement de terre, un tsunami sans précédents déferle sur Madras et l’Asie du sud est. Plus de 150 000 morts dont 10% en Inde et cinq millions de survivants sinistrés. Les adeptes occidentaux du Sahaj Marg présents au Babuji Memorial Ashram envoient des SMS à leurs familles restées au pays pour les rassurer et retournent méditer. Ils sont dans leur bulle. Le lendemain, la Shri Ram Chandra Mission édite un numéro spécial de Sahaj Sandesh pour annoncer que l'ashram n'a subi "aucune blessure ou dégâts".

Rajagopalachari s’exprime sur le tsunami dans son discours du 1er janvier suivant : "The art of listening to Nature". Quelques passages révélateurs : "(…) Et quand nous chargeons la Terre de notre grossièreté, et qu'elle s'accumule, la Nature veut rejeter toute cette grossièreté ; et vous avez des manifestations comme les tremblements de terre, le tsunami que nous avons eu il y a quelques jours (…) Alors frères et sœurs, tout dépend de vous (…) Tout ce que vous faites, bon ou mauvais, agit sur l'univers entier. Dans cette conscience, si vous continuez à travailler et à lutter dans votre vie spirituelle, le monde deviendra automatiquement une meilleure place."

Bref, le tsunami est de notre faute, et si nous méditons davantage il n'y en aura plus. Alors retournons méditer pendant que les autres agonisent. La religion chrétienne promettait le paradis après la mort, à défaut de le promettre sur terre, y légitimant ainsi tous les abus. Le Sahaj Marg aide à vivre dans une société très imparfaite, en substituant à la révolte légitime face au monde extérieur une pseudo solution intérieure. Se changer soi devient plus important que de changer ou améliorer le monde. Sans le dire, le Sahaj Marg aide à sa façon à légitimer tous les abus de notre monde. La religion était l'opium du peuple, le Sahaj Marg et Rajagopalachari le sont aussi.

Rajagopalachari rejoint en cela les partisans du New age, où le monde qui nous entoure est un vaste champ de conscience holistique dont nous faisons intimement partie, et où c’est en changeant nous-mêmes que la société changera toute seule. C'est donc grâce à notre évolution individuelle intérieure que nous participerons à l'évolution cosmique universelle. Evolution individuelle qui passe nécessairement par la transformation personnelle, notamment la méditation, l’un des états modifiés de conscience transpersonnelle.

L’individu et sa conscience individuelle fusionnent dans le divin. C’est un vertige de la dissolution individuelle, le Moi intérieur se noyant dans le Tout.