L'histoire réelle nous raconte tout autre chose. Hujur, dernier maître soufi musulman de la confrérie de la Naqsbandiya, a initié l'hindouiste Lalaji aux secrets de son enseignement. Ensemble, ils ont bâti un enseignement syncrétique issu du soufisme et du santmat hindou.
Le courant du Ramashram satsang qui en est issu nous dit que Lalaji a baptisé cet enseignement du nom de "Naveen sadhana". Le petit-fils de Lalaji, Dinaysh Kumar Saxena, nous dit que Lalaji est devenu le premier maître soufi non converti à l'Islam de la ramification nommée NaqshMuMRa, avec la bénédiction d'Hujur. Kasturi, sainte du Sahaj Marg selon Babuji, dit que Lalaji c'est le santmat.
Quoi qu'il en soit, Lalaji a envoyé ses disciples répandre son enseignement au sein du courant des Ramashram satsang. Il a nommé son fils Jag Mohan Narain pour lui succéder à la tête de l'ordre soufi NaqshMuMRa et il a désigné ses neveux Brij Mohan Lal et Radha Mohan Lal pour le seconder.
Babuji n'a donc jamais été promu pour quoi que ce soit par Lalaji de son vivant. Sauf qu'entre 1944 et 45, il s'est décidé à fonder le Sahaj Marga et créer la Shri Ram Chandra Mission suite aux directives qu'il aurait reçues durant ses rêves. Mais Lalaji est loin d'être le seul à avoir hanté ses rêves. En font aussi partie Mahomet, Jésus ou Ramakrishna, excusez du peu, mais aussi d'autres maîtres soufis, Kabir ou Swami Vivekananda…
En 1963, Babuji prend ses distances avec les soufis, dans un dénigrement qui confine au reniement. Dans le même temps, le Docteur KC Varadachari , son meilleur ami et plus fidèle disciple, répand l'idée que le Sahaj Marga n'est rien d'autre qu'une adaptation du raja yoga, une méthode simplifiée accessible à tous. A cette époque, cela fait déjà bien longtemps que Babuji ne parle plus de Krishna, Kabir et Vivekananda.
Sur le website de la Shri Ram Chandra Mission, le Docteur KS Balasubramaniam reconnaît que la transmission de l'énergie divine, soi-disant exclusivité du Sahaj Marg, existait déjà bien avant lui non seulement chez les hindous mais aussi chez les soufis, dans le bouddhisme et le saivisme. Elle a eu lieu il y a très longtemps entre Saint Vasishtha et Lord Rama, mais elle était encore utilisée tout récemment entre Ramakrishna et Vivekananda, au dix neuvième siècle.
Rajagopalachari ne retient que la légende des trois maîtres et passe sous silence toutes les racines antérieures du Sahaj Marg, pour affirmer le caractère exclusif de cette technique de méditation centrée sur le cœur. Ses adeptes se focalisent sur le seul maître vivant, en entretenant avec lui une relation exclusive qu'il encourage en développant la confusion entre maître et divin. La déculturation du Sahaj Marg est alors parvenue à son apogée, elle est totale.
D'abord enseignement spirituel, le Sahaj Marga est devenu une méthode de méditation adaptée et simplifiée du raja yoga dans les mains de Babuji. Grisé par son pouvoir sur les hommes, Rajagopalachari l'a totalement déculturée et vidée de son sens pour la recentrer sur le maître tout puissant à qui l'on doit obéissance. Ses adeptes ont achevé le travail en érigeant un véritable culte autour de sa personnalité où le Sahaj Marg devient un simple outil de développement personnel, une technique du bien-être, une marque déposée "Sahaj Marg™" comme il en existe tant d'autres.
Ce n'est plus rien d'autre que le produit de l'interaction entre Rajagopalachari et ses adeptes, entre l'abandon total au maître qu'il réclame et le culte de la personnalité que ses adeptes érigent. Totalement déculturé, juste légèrement imprégné de ce qu'il faut d'indianité et d'ésotérisme pour séduire des Occidentaux en mal d'un exotisme oriental érigé en graal spirituel, la technique du Sahaj Marg™ peut maintenant se répandre sans freins sur la planète entière.