De la pratique spirituelle décrite dans les dix commandements de Babuji, Rajagopalachari ne retient que certains aspects qui lui conviennent mieux que d'autres. Dans un glissement lent mais permanent, il donne la prépondérance aux pratiques qui renforcent la dépendance des adeptes et leur adoration pour le maître. Ainsi, il rappelle à ses disciples qu'ils doivent tenir un journal quotidien, mais il ajoute qu'ils doivent le lui envoyer régulièrement. Correspondre et rencontrer le maître sont vivement encouragés, comme les séances de méditation collective ou le souvenir constant.
Les adeptes sont de plus en plus dépendants de leur gourou et ils l'adorent. Mais le but ultime reste la fusion avec le divin. Qu'à cela ne tienne, Rajagopalachari développe alors une savante confusion entre maître et divin. L'abandon total de l'adepte devient son abandon total au maître, à la volonté exclusive du gourou. Le souvenir constant est-il celui du maître ou du divin ? la fusion de l'adepte avec le divin se transforme en adoration de son gourou, il faut lui faire plaisir à tout prix.
Non content d'avoir revisité les pratiques spirituelles et la définition même du Sahaj Marg, Rajagopalachari révise aussi son histoire, créant ainsi une légende simplifiée facile à retenir. Lalaji a inventé ex-nihilo le Sahaj Marg, son successeur Babuji l'a perfectionné et Rajagopalachari lui a succédé en tant que dernier maître vivant, tout cela en droite ligne de transmission.
Les dix commandements de Babuji sont débaptisés et deviennent de simples maximes. Le Sahaj Marga de Babuji, traduit par "voie facile" (easy way), devient le Sahaj Marg de Rajagopalachari, "voie naturelle" (natural path). La transmission de l'énergie divine par le maître vers le coeur de l'adepte est érigée en spécificité unique au monde, malgré ses origines ancestrales. On est passé du chemin facile d'accès (easy way) à un étroit passage délicat (natural path) dont l'accès est réservé à une élite.
Là où Babuji disait que la spiritualité commence quand s'arrête la religion, et que l'amour divin commence quand s'achève la spiritualité, Rajagopalachari rétorque plus caricaturalement que la religion divise alors que la spiritualité unit. Il ajoute qu'aucune connaissance n'est nécessaire et que la réflexion nuit à la méditation.
Marque déposée, le produit spirituel Sahaj Marg™ a été standardisé. Son objectif a été redéfini, son histoire réécrite et sa pratique codifiée et ritualisée. Déculturé, il ne nécessite aucun savoir ni aucune religion. Déterritorialisé, il est accessible aux Occidentaux aussi bien sinon mieux qu'aux Indiens.
De l'enseignement de Lalaji, on est passé à la méthode de Babuji pour aboutir à la méditation simplifiée à l'extrême de Rajagopalachari, à savoir une technique de yoga parmi tant d'autres. Mais il est unique, difficile et réservé à une élite, affirme-t-il.