Des adeptes hyper individualistes en quête d'un outil de développement personnel

Les mystiques hindoue et soufie ont développé l'importance pour un disciple, s'il voulait progresser spirituellement, de suivre l'enseignement de plusieurs maîtres, comme il y en avait tant auparavant dans les contrées du nord de l'Inde. Cette approche orientale de la spiritualité, faite de contemplation et de méditation, a séduit de nombreux Occidentaux qui rejetaient leurs religions traditionnelles dans une quête de sens, d'émotion et de lien social face au matérialisme de cette société déshumanisante. Mais l'Inde est à son tour entrée dans le marché mondialisé et elle intègre les valeurs occidentales à marche forcée.

Le précepteur suisse Ferdinand Wulliemier, précurseur de la psychiatrie spirituelle, décrit les adeptes occidentaux de la méditation comme des personnes psychologiquement fragiles, "border line" dans le jargon psychiatrique, souvent en pleine crise du milieu de vie. Et de fait, il s'agit très souvent de femmes seules, fragilisées dans leur vie personnelle, familiale et professionnelle. Il ajoute que les catégories socioprofessionnelles les plus représentées sont médicales ou paramédicales, et dans une moindre mesure l'enseignement ou les professions artistiques. Ces adeptes sont d'un niveau socioculturel et économique supérieur à la moyenne, toujours engagés professionnellement dans des relations humaines, souvent difficiles. Fragilisés, souvent en psychothérapie, ils sont nombrilistiquement tournés vers leurs problèmes égotistes.

Alors ces individualistes occidentaux fragilisés par la vie moderne succombent au charme de la méditation, une technique de yoga, un outil de développement personnel et de bien-être parmi tant d'autres. D'autant plus facilement qu'un gourou charismatique leur dit que ce produit spirituel unique au monde est un chemin difficile réservé à une élite. On leur offre ce qui leur manque le plus, on leur offre un but, une communauté et une Vérité. Le Sahaj Marg de Rajagopalachari constitue pour eux un refuge que les religions traditionnelles ne leur fournissent plus, un baume apaisant sur leurs blessures les plus ouvertes, face aux duretés les plus criantes infligées dans leur vie sociale et professionnelle par la société.

Non contents d'y trouver un relatif et incertain équilibre psychologique, les adeptes du Sahaj Marg se transforment à leur tour en thérapeutes prescripteurs auprès de leurs contemporains. Ils mélangent les techniques de méditation de Rajagopalachari avec les éléments les plus disparates piochés au sein du courant mystique ésotérique new age et des médecines alternatives aussi bien qu'avec les outils du développement personnel et du mieux-être. S'érigeant à leur tour psychothérapeutes - on n'est jamais mieux soigné que par les siens - ils s'emparent de la psycho généalogie, de la gestalt thérapie ou bien même du coaching.

Ces mélanges dispensés par des personnes fragiles et mal adaptées à d'autres personnes tout aussi psychologiquement déséquilibrées s'avèrent parfois détonants et particulièrement dangereux.


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Un rapport parlementaire français de 1995 a dressé une liste de sectes où figure en bonne place la Shri Ram Chandra Mission, tandis que d'autres pays ont choisi de la déclarer d'utilité publique et de l'exonérer de taxes.

Le rationalisme à la française, souvent athée ou agnostique, imagine partout des sectes. A l'inverse, les anglo-saxons, dominés par les born again évangéliques ou le new age, baptisent tout et n'importe quoi du sigle de Nouveau Mouvement Religieux. Entre ces deux conceptions radicales, l'approche orientale traditionnelle d'une spiritualité sensible et émotionelle a repris des airs de modernité. Mais l'Orient d'aujourd'hui n'a plus grand-chose à voir avec les archétypes que sont Auroville ou le bouddhisme du Dalaï Lama. La globalisation, l'immédiateté et l'individualisme s'en sont emparés. Le Bollywood de Mumbai et la Silicon Valley indienne de Bangalore sont passés par là. Rajagopalachari est le pur produit de cette confrontation des valeurs traditionnelles indiennes aux valeurs occidentales.

Bien au-delà de ses aspects peu rationnels qui peuvent prêter à rire, c'est la finalité du Sahaj Marg™ elle-même qui porte le danger totalitaire le plus loin. La transformation de soi par la méditation, un état modifié de la conscience, sublime le ressenti au détriment de la réflexion et transporte la solution du changement en soi en lieu et place du changement social et de l'engagement citoyen. Au final, la recherche à tout prix d'une fusion avec un divin qui se confond trop souvent avec le gourou Rajagopalachari constitue à terme le plus grand danger qui menace ses adeptes. Il signifie le renoncement à l'individualité pour se fondre dans un Tout complètement inconnu.

Quand l'émotion prime, la manipulation n'est pas loin. Dans un monde en perte de repères où règne l'incertitude, la tentation de suivre une communauté, son prophète et son messianisme est forte. Le besoin de certitudes est profondément ancré en chacun de nous. C’est pourquoi il faut savoir conserver son esprit critique et son libre arbitre.

L'individu moderne parvenu à maturité, c'est celui qui est autonome et responsable, qui choisit sa voie et bâtit ses propres repères, sans certitude absolue aucune, mais avec de solides convictions.