Rajagopalachari est parti en Occident pour affirmer sa légitimité. Ses troupes se sont d'abord principalement constituées en Europe, avant qu'il ne rallie l'Inde et les Indiens à lui. Il en va de même pour les ashrams, les premières acquisitions étant Augerans en France en 1988, Molena aux USA et Vrads Sande au Danemark en 1992. Il faut attendre 1999 pour que le Babuji Memorial Ashram sorte de terre à côté de Chennai, alors qu'il est le quartier général de la Mission.
Lorsqu'elle s'installe quelque part, la Shri Ram Chandra Mission entend bien jouir sans entraves de ses biens. C'est ce qui est arrivé au château d'Augerans, une propriété de dix hectares avec plus de 3400 m² habitables, inaugurée le 9 octobre 1988, près de Dôle dans le Jura français. La Mission l'a acheté près de deux millions de francs (300 000 €) au groupe Peugeot pour en faire son siège européen. Dès 1993, d'après les journaux locaux de l'époque, elle construit une salle de méditation sur la propriété, après un parking de 150 places et des sanitaires collectifs. Or le Plan d'occupation des sols interdit toute extension du bâti de plus de 500 m². Un bras de fer commence entre la Mission et le maire de la commune, se cristallisant autour des élections municipales de 95. La Shri Ram Chandra Mission ferme son compte à la banque où travaille le maire, expliquant à son directeur que la faute en incombe à son employé. Puis elle domicilie au château plusieurs de ses adeptes qui s'inscrivent sur les listes électorales. Toujours selon les journaux, ces quinze électeurs supplémentaires font basculer les élections de ce petit village de 150 habitants. Bientôt un nouveau chapiteau de 600 m² jouxte le château, le nouveau maire lève l'interdiction de camping sur le site et la Mission organise des séminaires de plus de 1 500 personnes. C'est sans compter sur la résistance des villageois et de la presse locale. Du coup, Rajagopalachari jette l'éponge en 2000 et réussit à revendre le château en 2003. L'occupation aura duré quinze ans. Le siège européen est transféré à Vrads Sande, autre petit village de 150 habitants, mais pour la plupart adeptes de la Mission, près de la moitié des précepteurs danois y étant domiciliés.
A la fin des années 90, Rajagopalachari change de stratégie. Désormais, les principaux investissements ont lieu en Inde, et cela commence par le siège mondial de la Shri Ram Chandra Mission. Les donations affluent de partout, les travaux durent deux ans et le Babuji Memorial Ashram (BMA) est inauguré à Manapakkam, dans la banlieue de Chennai, le 30 avril 1999, une date symbolique puisque c'est le centenaire de la naissance de Babuji. D'un coût estimé entre deux et trois millions de dollars à l'époque, l'ashram s'étend sur cinq hectares et peut accueillir 13 000 personnes sous son hall de méditation.
Et cette stratégie se poursuit à un rythme effréné. En 2006, la Shri Ram Chandra Mission comptabilise 53 ashrams en Inde, dont neuf grands ashrams en plus du BMA, à Bangalore, Tiruppur, Hyderabad, Mumbai, Ahmedabad, Delhi, Allahabad, Kolkata et Satkhol. A titre d'exemple, l'ashram d'Ahmedabad s'étend sur deux hectares, son hall de méditation peut accueillir 2 500 personnes, avec des dortoirs pour 750 personnes et une quinzaine d'appartements.
A partir de 2005, Rajagopalachari diversifie ses investissements. Au lieu d'ashrams, il investit dans une école, la LMOIS, puis dans deux centres de formation à Kharagpur et Bangalore (Centre for Research and Education Sadhana Training) ainsi que trois centres de retraite (le SPURS à Austin au Texas et les deux autres en Inde à Panshet et Malampuzha).
Cela n'a pas empêché complètement les ashrams occidentaux de se multiplier. Durant les années 90, les Etats-Unis en ont acquis trois, l'Afrique du sud un, la France deux avec Montpellier en 1991 après Augerans, la Suisse un à Lausanne en 96. Et malgré les transferts de fonds vers l'Inde, le mouvement se poursuit encore ensuite. La France acquière un ashram à Nice en 2001 puis un autre à Paris en 2004. Berlin obtient le sien en 2006, puis c'est au tour de Milan et Timisoara en 2008. Et les projets sont toujours aussi nombreux : Londres, Lyon, le New Jersey ou l'Australie veulent aussi leurs propres ashrams. Aux Etats-Unis, on envisage aussi de sérieuses extensions pour les ashrams de Molena et Pioneer Valley…
En théorie, Rajagopalachari l'avait dit, les fondations SMSF sont chargées des biens matériels et les associations de la spiritualité. En pratique, ce n'est pas aussi simple. Tout n'est pas rose pour les adeptes occidentaux qui désirent acquérir un ashram, loin de là. S'il fait partie du patrimoine de la Mission une fois acquis, cela n'empêche pas qu'il doit être financé auparavant au moins pour partie par les adeptes locaux eux-mêmes, une fois qu'ils ont obtenu l'accord de Rajagopalachari, ce qui ne va pas forcément de soi.
Exemples : en 2000, le gourou décide unilatéralement de revendre Augerans contre l'avis des adeptes français. Puis c'est au tour du terrain d'Armadale fraîchement acquis, près de Perth en Australie, qui est revendu en 2003. Ensuite, Rajagopalachari autorise le 16 mai 2006 le projet d'acquisition d'un ashram en Italie après avoir lui-même visité les lieux. Une semaine plus tard, il annule le projet puis autorise celui de Berlin moins de trois semaines après. Dans la foulée, il s'oppose au projet londonien des adeptes anglais dont le bail de l'ashram écossais de Broomlee arrive à terme et leur dit d'aller à Vrads au Danemark.
Après leur déconvenue, les Italiens reviennent à la charge en 2008 avec un argument de poids, la liaison aérienne directe entre Dubaï et Milan qui ferait de ce nouvel ashram la première étape de leur gourou en Europe. Du coup, l'acquisition est officialisée le 28 mars et Rajagopalachari vient l'inaugurer lui-même le 11 mai suivant. La même année, Ajay Kumar Bhatter donne son accord au centre de Lyon pour se lancer dans la recherche d'un ashram. Pendant ce temps, Rajagopalachari parle de se débarrasser de celui de Lausanne pour en construire un autre ailleurs, alors que les travaux de rénovation s'achèvent. En octobre, il gèle toute nouvelle acquisition en raison de la crise financière mondiale, tandis qu'il accorde des passe-droit à quelques uns puis relance les choses aux Etats-Unis trois à six mois plus tard…
Pour l'ashram national allemand, Rajagopalachari a annoncé que la Sahaj Marg Spirituality Foundation n'en financerait que les deux tiers. L'association nationale n'avait plus qu'à se débrouiller pour trouver le restant, indépendamment des cotisations ou de la vente des publications. Du coup, même les autres associations ont participé : la France à hauteur de 35 000 € et la Suisse de 30 000. Les Pays-Bas, le Royaume-Uni ou l'Italie y ont aussi participé. Rajagopalachari s'est opposé au projet londonien alors que les adeptes du Royaume-Uni et de l'Irlande avaient déjà trouvé l'équivalent de 1 500 € chacun. Il ne participe pas non plus financièrement à l'ashram lyonnais, la SRCM française fournit la moitié du montant estimé, ce qui signifie que les adeptes locaux doivent trouver par eux-mêmes 3 000 € chacun. Qu'a donc versé la SMSF pour l'ashram national italien, quand on sait que la France y a déjà participé à hauteur de 115 000 € ?
Pourtant, selon les explications de Rajagopalachari, on aurait pu croire que c'était les fondations seules qui devaient acheter les ashrams. Au moins pour les ashrams nationaux, à défaut des régionaux, mais rien n'est moins vrai.
Le patrimoine n'est donc pas détenu intégralement par les fondations. Une partie reste dans les mains des associations. Selon les informations dont on dispose, les capitaux en fonds propres détenus par les associations hors Inde varient de 700 à 1 500 € par adepte en 2007, et cinq fois moins en Inde, soit un peu plus de cinquante millions. Si la répartition du patrimoine suivait celle du chiffre d'affaires, c'est au moins deux tiers de celui-ci qui serait aux mains des fondations. Et le patrimoine mondial pourrait dépasser 150 millions.
En 1997, Umesh Chandra Saxena, fils de Babuji et concurrent direct de Rajagopalachari, estime le patrimoine de la Shri Ram Chandra Mission à 200 millions d'euros, alors qu'elle compte 55 000 adeptes. Si cette estimation était exacte et si le patrimoine évoluait proportionnellement au nombre de cotisants, il atteindrait près de 400 millions en 2007. Ce ne serait plus alors les deux tiers du patrimoine qui seraient gérés par les fondations, mais presque 90%...