Le nombre de disciples se multiplie, celui des précepteurs aussi. Ceux-ci servent de canal de transmission au maître, lui permettant ainsi de décupler ses capacités spirituelles. Et de fait, on passe d’une douzaine de précepteurs en 1964 à 45 en 1970, 60 en 1972 et 180 en 1983. Une hiérarchie commence à s’instaurer, avec l’apparition en leur sein des full précepteurs, spirituellement parvenus dans la région centrale ou à sa proximité, et les seniors précepteurs respectés en raison de leur âge et de leur expérience due au temps qu’ils ont passé en compagnie de Babuji.
Dès le 18 juin 1970, le Docteur KC Varadachari écrit à Babuji pour le mettre en garde contre les risques de commercialisation de la Shri Ram Chandra Mission en raison de sa croissance. Pour conserver l’équilibre financier de la Mission, mis à mal par cette croissance, la mise en place d’activités n’ayant pas de rapport direct avec le développement spirituel des disciples l’entraîne vers des dérives commerciales, déplore Varadachari. Mais rien n’arrête plus la croissance de la Mission ni de ses dérives.
Le décès de Babuji et la prise de pouvoir controversée par Rajagopalachari n’arrangent rien. Ce dernier n’a d’autre choix que de développer la Shri Ram Chandra Mission à l’étranger pour asseoir son autorité. Les précepteurs deviennent indispensables pour le relayer partout sur la planète, et leur rôle se transforme rapidement.
Les précepteurs canaux de transmission spirituelle cèdent le pas aux précepteurs recruteurs de nouveaux adeptes. Rajagopalachari les sélectionne sur leur ambition et de leur arrivisme plutôt que sur leurs qualités spirituelles qui deviennent secondaires. Sous le prétexte d'atteindre une dimension critique nécessaire au basculement de l'humanité dans la spiritualité, il galvanise ses troupes pour faire toujours plus de recrues. Leur rôle est de faire du prosélytisme, de jouer les rabatteurs et d’enrôler à tour de bras. Il sera toujours temps plus tard de s’occuper du développement spirituel des nouveaux arrivants.
Il suffit qu’il n’y ait personne dans un pays ou une région du monde pour que le premier adepte venu soit aussitôt nommé précepteur. Rajagopalachari fait et défait les précepteurs au gré de ses besoins, allant jusqu’à les nommer par téléphone. Et petit à petit, toute une hiérarchie spirituelle se met en place avec des administrateurs de zones géographiques, chargés de contrôler le travail des précepteurs, qui ne sont plus que la cheville ouvrière de cette vaste entreprise de prosélytisme. Exit les full précepteurs et les seniors précepteurs, leur capacité spirituelle ou leur expérience, place à un prosélytisme exacerbé.
Ainsi en 2003, Santosh Khanjee réorganise tout le système hiérarchique qui s'engorge avec le développement géographique et numérique de la Shri Ram Chandra Mission. A la base, un précepteur s’occupe d’un groupe de membres actifs, appelé le Centre. Ce précepteur est centre-in-charge (CIC). Aux échelons supérieurs, il y a des administrateurs à la tête de zones et de régions. Ce sont les zone-in-charge (ZIC) et les region-in-charge (RIC). Plus récemment, sont venus s’ajouter des développeurs chargés tout particulièrement de développer les petits centres, en parallèle au travail des zone-in-charge.
A titre d'exemple, la France compte un peu plus d’un millier d’adeptes répartis sur 43 centres, soit 25 adeptes par centre en moyenne et un précepteur pour onze d’entre eux. Ces centres sont regroupés en six zones géographiques avec un ZIC et un développeur pour chacune. La France est elle-même intégrée dans une plus grande zone appelée "Espace francophone, Espagne et Iles britanniques", intégrée dans la région "Europe".
Chacun, précepteur comme administrateur, doit promouvoir la croissance spirituelle et remettre un rapport mensuel au niveau hiérarchique immédiatement supérieur ainsi qu’à Rajagopalachari en personne. Doivent figurer le nombre de méditations réalisées et surtout le nombre d'introduction de nouveaux adeptes.
Dans l'esprit de Rajagopalachari, cette organisation est conçue pour faire du prosélytisme comme on fait la guerre, avec plan, stratégie et tactique militaire pour l'occupation du territoire. Dans une formation à Hyderabad le 4 avril 2004, le ZIC est comparé au général, le CIC à un "field commander" :
"Strategy formulation. The zone-in-charge is like a General, in charge of a territory. He has to evolve a strategy for effective penetration of his territory. He has to communicate this strategy to all the centres-in-charge, and convince them of its efficacy. He has to evolve a tactical plan to make this work (…) Tactical plan. The zone-in-charge has to plan where and how to grow the Mission. He has to device the means to achieve this growth. He has to train the functionaries in his zone to undertake this task. He has to monitor this activity and make corrections where necessary. He has to conduct annual reviews of this plan, and send a progress report to Chennai".
Les précepteurs doivent donc faire du chiffre, toujours plus de chiffre, rien que du chiffre. Pour ce faire, Rajagopalachari n’hésite pas à jouer de leur sentiment affectif à son égard, en déclarant qu’ils n’en font pas assez pour mériter son affection. Il les culpabilise pour leur soi-disant manque de résultats et les fait sombrer dans l'angoisse de déplaire au maître. Un mal-être permanent qu'il entretient soigneusement.
Dans un discours aux précepteurs danois, le 19 septembre 1998, Rajagopalachari leur dit : "Pour l'amour du ciel, réveillez-vous et mettez-vous au travail ! ". Dans un discours aux précepteurs américains, le 10 août 2000, "Nobody worked (...). Only work produces results, God works only through human beings".
Un précepteur anglais rapporte son expérience et ses sentiments suite à un Séminaire de formation à Manchester les 12 et 13 mars 1999 (Natural Way, automne 2000) : "We watched Chariji's speech to preceptors in India, 01 October 1996 on video. Chariji said preceptors don't work enough. By not working we are really insulting Babuji and his plans. We were sad after the video".
Même chose en Inde où Rajagopalachari, dans un discours à l'ashram de Mysore (Karnataka, Inde), le 16 février 2004, exhorte ses adeptes à se réveiller : "(…) Karnataka has been very slow in developing in Sahaj Marg (…) there is too much tendency to stay at home and wait for everything to come to our house (…) I know many houses where the father is the abhyasi, not the wife, not children, and for twenty years they don't change. If a man cannot influence his own wife to start Sahaj Marg, who else is he going to influence? I know wives are very difficult to manage, but that is female nature, you see, and we are here to change nature by starting with our own family first (…) So, people of Karnataka, please awake". Même chose à Bangalore le 26 septembre suivant : "(…) Karnataka is a big state. Why is it not growing ? (…) But no growth (…) Karnataka is a sleepy state (…) If you sleep, you have to be woken up".
Lors d'un meeting des précepteurs à Chennai le 17 juillet 2004, Rajagopalachari montre qu’il est bien conscient de la pression qu’il leur fait subir, mais c’est encore de leur faute à eux : " (…) we were talking (…) about preceptors, their responsibilities, their work or lack of it (…) I receive letters from abhyasis, from preceptors, and they tend to dramatise this business of being a preceptor out of all proportion to what it really involves in our life. Either they suffer from guilt because they don't do the work that is assigned to them that goes with being a preceptor (…).and sometimes they are also angry, annoyed, desperate (…)".
Et cela continue encore aujourd’hui. Ajay Kumar Bhatter prend la relève en Europe dans une circulaire aux précepteurs français, en date du 17 juin 2008 : "Après tant d’années et tant de visites du Maître, le nombre d’abhyasis est décevant en Europe". Puis de nouveau, Rajagopalachari déclare dans un message adressé aux adeptes des Etats-Unis le 11 octobre 2009,: "(...) the Mission in the U.S. had gone into some sort of — I won’t say coma, but a partial sort of sleep mode."