Analyse anthropologique


Extraits d'un document de l'anthropologue Sergei Tarkovski, publié le 14 septembre 2004, à retrouver intégralement sur SRCM Sahaj Marg Decodage.

Une analyse anthropologique et critique du discours de la SRCM

 (...) Il s’agit de montrer à l’adepte que toute critique dirigée contre les maîtres, les précepteurs et l’organisation ne peut être qu’issue de l’ego inférieur, et à éliminer. Une manière de s’assurer que ce sont les disciples eux-mêmes qui accomplissent leur clôture de l’inconscient, leur assujettissement. Au lieu d’imposer une abrasion du moi aux élèves (on appelait cela le « lavage de cerveaux » dans les opérations paramilitaires), le maître suggère que c’est au disciple de faire ce travail. Les disciples se persuadent eux-mêmes et se maintiennent dans cette emprise, par leur propre effort. Ils deviennent eux même leur propre maître, mais aussi leur propre geolier, au nom d’une belle cause. Est-ce le signe d’un contrôle social habile exercé d'en-haut par les dirigeants ? Il faudrait connaître l'institution pour le savoir.

Les adeptes sont-ils pensés comme étant assez naïfs pour que l’organisation puisse essayer de transformer leur groupe d’Occidentaux conscients, idéalistes et spirituels en une famille « d'abhyasi » obéissant au doigt et à l’œil à leur « maître ».
Le maître surfe sur le succès, la croissance, et ne renonce pas à s’accomplir dans le monde :
Premier signe qu’on pourrait avoir à faire à un « dispositif » : en explorant le Web, j’ai constaté que le représentant actuel de cette organisation voyage dans le monde entier, bénéficie d’un accueil et d’une vie internationale, à la rencontre des disciples, et d’un château qu’ils avaient acheté pour sa « cause ». Mais, dans ces textes, il encourage, en revanche, ses adeptes à renoncer ! Il a droit au traitement V.I.P., à une gratification quotidienne de l’ego, à des foules de disciples emplis de dévotion. Mais il invite ses disciples, pourtant, à sacrifier leur propre volonté de s’accomplir dans le monde et avec les autres.

Il prêche le renoncement, et lui-même accumule prestige, succès, comme une « star » de la spiritualité.
Il n’est pas vraiment responsable devant ses adeptes : il ne reçoit aucune instruction d’eux, mais il leur en donne à tous, et surtout à leurs précepteurs, avec un supplément d’autorité qui laisse songeur...
Déjà, nous sommes, semble-t-il, en présence d'un dispositif idéologique, asymétrique, où les instructions bénéficient à celui qui les énonce, non pas tant à ceux qui les exécutent. Dans cette autorité qui descend, il n’y a donc pas d’égalité, et donc peut-être pas de fraternité réelle, même si les mots peuvent être séduisants par ailleurs, comme nous allons le voir maintenant :

Un discours de nature publicitaire :

"Le Sahaj Marg ou la Voie Naturelle, est une nouvelle méthode d'entraînement spirituel, spécialement conçue pour répondre aux besoins de la vie d'aujourd'hui. Elle permet aux personnes qui y aspirent de réaliser l'union avec la source divine en elles, dans le cadre d'une vie familiale et professionnelle normale. Comme toutes les véritables voies spirituelles, le Sahaj Marg affirme que le Divin, la source de toute chose, quelque soit le nom qu'on veuille bien lui donner, ne peut être trouvé qu'au fond de son propre cour, en passant au delà des limites de l'ego. Le Sahaj Marg découle de l'essence du raja-yoga : le yoga royal de l'Inde antique. Ce yoga est qualifié de royal, car il utilise le mental ou esprit qui est l'instrument royal en nous, car il crée notre bonheur comme notre malheur, selon l'utilisation que nous en faisons. Dépourvue de tout rituel et cérémonie, la pratique, très simple est tout entière centrée sur le coeur de l'aspirant. Par la méditation et la purification du coeur, toutes les activités mentales de l'aspirant se trouvent progressivement régulées et réorientées vers sa source divine. Alors s'installe un état de calme et de paix intérieure, première étape du développement spirituel.La transmission d'énergie divine (pranahuti) est une révolution dans l'histoire de la spiritualité. Elle éveille l'âme du pratiquant, transforme tout son être et l'amène à la divinisation."

Parler seulement de sacrifice ne serait pas attirant. Cela ne suffirait pas à attirer les adeptes. Il faut aussi du miel selon l'adage populaire qui veut "qu'on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre"...
Voilà donc une « nouvelle méthode » de développement personnel !

Il y a tout ce qu’il faut, c’est un condensé des publicités du « new age », des stages de développement personnel, mais aussi des produits diététiques ou des compléments alimentaires : « nouvelle méthode d’entraînement spirituel, spécialement conçue pour répondre aux besoins de la vie d’aujourd’hui ». On est là dans le discours publicitaire. Il n’a pas de contenu évoqué, il peut s’appliquer à tout, et compte par l’effet qu’il produit, agréable, sur le lecteur.

 « Par la méditation et la purification du coeur, toutes les activités mentales de l'aspirant se trouvent progressivement régulées et réorientées ». Cela pourrait être tiré d’une notice ou d’un communiqué de presse pour un antidépresseur ! On est donc plus dans le gloubi-goulba publicitaire où sont conviées les astuces rédactionnelles, jusqu’à parler de « révolution dans l’histoire de la spiritualité » avec des superlatifs qui n’engagent personne sur les résultats : « le yoga royal » ou la « transmission d’énergie »… Notons des termes psy parsemés ici et là, on n’est pas très loin du monde de la psychiatrie, il y a relation au niveau du vocabulaire.

Deuxième signe que nous avons affaire à une démarche « construite » de la part de décideurs : ce recours à la publicité comme langage. Des chercheurs désintéressés, des pratiquants sans agenda prosélyte d’une voie de sagesse n’auraient pas le mauvais goût de nous infliger ce genre de discours convenu.

La sobriété, la modestie : où sont-elles dans cet étalage ? La vérité, l’économie et la justesse des mots : où sont-elles ? Il faut que nos contemporains soient habitués à ce type de langage des plaquettes publicitaires pour qu'on le leur serve encore ici, comme si cela allait de soi aussi dans le domaine de la spiritualité.

Et on leur promet : « un état de calme et de paix intérieure, première étape du développement spirituel. » Le bien-être, la paix intérieure est une promesse marketing spirituelle répandue, la plus attractive peut-être, car on sait que nos contemporains y aspirent. Même les services marketing des marques de yaourts au bifidus l’utilisent !

Le leur promettre, n’est pas le leur permettre. Les mots ne sont pas la chose. Il ne suffit pas d’en parler pour que cela soit vrai, ou possible dans le cadre proposé. C’est bien là toute la question que posent ces quelques extraits de textes.
On voit un levier possible :
Utiliser l’aspiration au mieux-être personnel pour assujettir un nombre important d’individus et les contrôler, en structurant le message pour que ce soient les victimes elles-mêmes qui exercent l’emprise et la manipulation de leurs propres schèmes psychologiques, vocationnels et relationnels au profit du gourou et de son dispositif hiérarchisé.
Il faudrait disposer d’éléments de témoignages d’anciens adeptes, pour connaître les effets réels. Leur contribution serait très utile.

Le discours, son ingénierie de contrôle mental & social :
La question qui se pose alors est la suivante, comment se fait-il que certains se laissent prendre à cette rhétorique ? La ficelle semble évidente. Comment des personnes instruites et évoluées peuvent-elles adhérer à cette initiative ?
La proposition, telle qu’elle s’inscrit dans ces brèves citations, semble être la suivante : « revenez à l’état de l’enfant, redevenez un enfant ». Cette invitation à la régression vers les années d’innocence, de placidité, de contentement, d’ouverture, et d’obéissance est bien comprise dans ces mots :
 « [Le maître] devient le père, la mère, le fils, le professeur, le docteur… »

La personne est donc invitée à se débarrasser de sa personnalité d’adulte, si contradictoire et encombrante, et de retrouver le paradis d’un jeune âge où il n’aura plus qu’à adorer son papa et sa maman incarnés dans un seul être : le maître, auquel il se pliera, aussi docile qu’un enfant lors de la consultation chez le docteur, aussi obéissant que face à son professeur...
Nul doute que ce retour vers les stades antérieurs de la vie séduit les pratiquants de la psychanalyse et puissent exercer dans les milieux de la psychiatrie qui en sont familiers une certaine séduction.

Les citations proposées invitent à oublier les soucis, les frustrations d’homme ou de femme adulte, et par un raccourci, une régression provoquée par la dévotion au maître, de retrouver fraîcheur et insouciance du petit garçon ou de la petite fille en soi. On oublie dans ces passages de dire qu’en même temps l’adepte risque d'abandonner son projet de vie au bénéfice des projets du maître, voire de l'une de ses organisations.
L’enfant ignore les choses de la vie, alors justement, dans l’emprise du maître :
 « La connaissance n’est plus nécessaire […] Nous abandonnons la connaissance […] le temps est venu pour elle de quitter la scène. »

Et ce faisant, l’adepte abandonne son esprit critique qui pourrait lui permettre de sortir de ce dispositif, de "méta-communiquer" quant à sa nouvelle place fixée par un système mental hiérarchisé !
Alors pourquoi mettre en avant avec une telle insistance l’idée que l’adepte doit devenir un mort vivant ?

C’est une technique assez classique (framing) de persuasion que d’intervertir le but et l’expérience actuelle. On la retrouve aussi dans d’autres champs de l’activité. Dans certaines thérapies comportementales où dans la psychothérapie paradoxale cette technique est familière (le « recadrage »). On y suggère l’anticipation sur les expériences à venir inévitables du patient et leur requalification.

Une analogie servira à ce point notre propos. Les personnes qui guident des relaxations guidées en groupe savent qu’il faut inclure dans les instructions données oralement des éléments que chaque personne peut vérifier afin de se détendre. Par exemple si une porte s’ouvre dans la salle et qu’une personne va entrer à l’improviste, risquant de déranger le groupe, le praticien qui guide le groupe des personnes allongées sur des nattes va annoncer : « les bruits se font plus perceptibles, plus forts, et nous prenons conscience des allées et venues, des bruits de porte et de pas dans la salle, nos sens s’éveillent tandis que nous nous relaxons de plus en plus »

Le fait de dire ainsi ce qui se passe, confirme, et le fait d’annoncer ce qui va se passer (et qui est connu de celui qui énonce) rassure chacun.

Mais revenons à notre sujet.
Devenir un mort vivant est donc sans doute, non pas un objectif à long terme pour l’adepte, mais une réalité qu’il ressent sans doute assez tôt...

Cette expérience d’être ainsi exposé à une pratique prédatrice de son énergie et de l’intégrité de sa sensibilité éloignerait tout disciple, normalement, de ce sacrifice envers le maître. Mais le fait de présenter ces désagréments comme un idéal, un but lointain et remarquable à atteindre est d'une grande habileté.

Ce faisant, le disciple est rassuré : oui, il se sent de plus en plus diminué spirituellement ; oui, sa force de caractère s’étiole ! Mais c’est bien le signe que la voie du maître fonctionne ! Le maître l’avait annoncé : c’est le grand projet de cet apprentissage : devenir comme un cadavre dans les mains d’un habilleur funéraire. Le disciple se dit qu’il est arrivé au terme de la voie, et même plus vite que prévu !

Ce système rhétorique ferait ainsi accepter une atteinte au psychisme ou à l’intégrité spirituelle de la personne, en le lui présentant non comme un inconvénient, une souffrance, un échec, mais au contraire comme le but de sa démarche ! Et évidemment ça marche, les faits corroborent leur annonce ! Si l’adepte s’appauvrit rapidement au niveau psychologique, il se persuade que la méthode est formidable, puisqu’elle fonctionne à merveille : le voilà arrivé déjà au but de la voie : en peu de temps il est devenu un mort-vivant, sans se considérer pour autant comme un pauvre adepte au psychisme lessivé et aux ressources subtiles prélevées.

Les mots cités des extraits parlent d’eux-mêmes. Espérons que les personnes seront raisonnables et feront fonctionner leur esprit d’adulte.

Une hypothèse enfin, même si elle n’est pas apparente dans le bref texte qui nous a été soumis. Il n’est pas impossible que nous ressentions en Occident le besoin de renouer avec cet esprit d’enfance, auquel nous sommes attachés par notre histoire personnelle, nos souvenirs. Il semble que, selon ces extraits choisis, le système de manipulation utilise ce besoin, au profit surtout du maître et de ses propres projets, ainsi que de ceux de son organisation.

Communauté en Inde

L’Orient vit encore un peu dans l’état indifférencié de cette enfance, même dans l’âge adulte. Il restait jusqu’à ces dernières années en Asie un peu de cet espace psychologique indifférencié, de cette communication « bon enfant » subconsciente entre les êtres, de cette connexion (connectedness) entre les personnes et entre les hommes et la nature.

En Asie, l’âge adulte prolonge l’expérience de l’enfant, sans être totalement coupé de lui, ni de son imaginaire. La faculté de sourire, par exemple, celle de se réjouir sont évidentes lorsqu’on parcourt l’Asie, et pas seulement chez les plus jeunes.
Les enquêtes sociologiques de Hofstede le montrent : les peuples d’Asie sont plus communautaires (collectivism factor), les peuples des pays industrialisés d’Occident, plus individualisés (individualism factor). Pour cette raison un groupe de raja yoga ou une communauté dans un ashram ne sont pas synonymes en Inde, ou en d’autres pays traditionnels d’Asie, de prédateurs de l’intégrité de la personne ni de sectes sinistres. Les personnes étant plus naturellement ouvertes, plus en contact avec leur propre vie subconsciente, plus interdépendantes avec les autres, et plus en contact avec leurs sentiments intuitifs, elles peuvent assumer ce type de parcours sans connaître de prédation psychologique, dans le meilleur des cas, c'est-à-dire à la condition de rencontrer les personnes de valeur et d’expérience dans ce domaine.

Il est souligné souvent et à juste titre que l’Occident, industriel et confortable, a connu une individualisation, et a favorisé une structure de la psyché plus centrée sur le « moi », et moins sur le « nous ». La philosophie, la technique, mais aussi l’agnosticisme et l’athéisme sont sans doute des fruits de cette éducation où nous devons renoncer à certains liens subtils et subconscients que nous établissons sans doute pendant l’enfance avec notre environnement et avec les autres.

En Occident, la thérapie de choc d’une régression vers l’enfance spirituelle, la rencontre d’un gourou habile et ambitieux sont ainsi d’une innocuité discutable pour des êtres qui normalement sont organisés autour du « je » plutôt que du « nous ».

Il ne serait pas surprenant que cette idéologie d’une « voie naturelle » tente de réveiller, en Occident, de mobiliser et d’utiliser ce sentiment de sincérité, de pureté, d’engagement et d’affection inconditionnelle, cet part d’enfance en nous, qui est sans doute plus disponible qu’il est généralement admis, même si c’est à l’état en quelque sorte d’atavisme spirituel.

En permettant aux disciples de faire l’expérience de l’enfant en soi, de ce cœur communicatif, spontané et chaleureux, de cette sympathie sans arrière pensée, les cadres de cette organisations sont sans doute instruits dans l’art et la manière de se saisir de ce qui se réveille ainsi (cette ouverture, cet enthousiasme, cet amour, cette foi, ce désir de bien faire) et utilisent ce potentiel du disciple aux fins de la croissance illimitée de leur structure internationale.

Les disciples seraient alors prêts à défendre bec et ongles ce système et ses représentants qui les exploitent, mais qui les « aiment », c'est-à-dire qui leur manifestent un peu d’attention et répondent à certains de leurs besoins intérieurs de nature spirituelle. Ce système est devenu un peu eux-mêmes, ils le nourrissent et lui ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Quant à ceux qui bénéficient de quelques avantages, prérogatives, ou honneurs grâce à cette organisation, ils sauraient faire avec les contradictions qu’ils découvrent de plus en plus au fur et à mesure qu’ils s’élèvent dans la hiérarchie. Ce ne sont ici que des hypothèses, et des recherches de terrain seraient nécessaires pour les examiner à la lumière des faits.

Ne prenons pas de boucs- émissaires :
Le problème est donc sans doute dans notre civilisation : une éducation somme toute sommaire de l'affect, une culture urbaine, matérialiste et compétitive qui s'avère souvent frustrante. Tout ce qui entretient une solitude, un isolement et une possible clôture spirituelle attire probablement de nouveaux disciples, et de nouvelles "vocations" vers cette école de la voie naturelle.

Prenons le cas de soignants, de personnels hospitaliers ou des infirmiers qui travaillent en milieu psychiatrique. Ils doivent se trouver fort démunis face à la misère invisible ou visible qu’ils perçoivent quotidiennement. Qu’ils se tournent en nombre non négligeable vers cette nouvelle « organisation » aux U.S.A., au Canada ou en Europe n’est pas surprenant. Ils y reçoivent une attention et une écoute. Serait-ce le signe que dans leur propre milieu, en particulier professionnel, l’écoute et l’ouverture feraient défaut ? Nous ne répondrons pas, car nous ne connaissons pas ces questions, sans doute contradictoires. Et nous laisserons aux experts de ces milieux socioprofessionnels le soin de se prononcer.

Il se pourrait bien que des messages « spirituels » comme celui que nous venons de commenter sous forme d’extraits, soient ici un symptôme en creux de notre histoire collective et d’une vision de l’humain elle-même réduite.

Que les adeptes de ce mouvement issus du monde des professions de la psychiatrie soient en réaction avec la culture de l’internement et les pratiques parfois presque « médiévales » (notez les guillemets et le mot « presque ») est une invitation à s’interroger non pas tant sur ces soignants, que sur l’institution officielle et ses méthodes qui ne semblent plus les satisfaire.

Il ne faudrait donc pas chercher chez ces expérienceurs de nouveaux boucs émissaires, ni engager de chasse aux sorcières, et occulter ainsi confortablement une responsabilité dans les systèmes établis et en crise profonde de l'enseignement, de la médecine, de la psychiatrie, des soins et de la recherche... Il est inutile de victimiser une troisième fois des personnes, parfois généreuses et engagées, qui lasses d’un monde institutionnel parfois désespérant de bureaucratie, instrumentalisées par une organisation « spirituelle », ne savent pas comment sortir d'une double contrainte (double bind) à laquelle ils ne voient pas d’issue.


Extraits de Sergei Tarkovski, publié le 14 septembre 2004, à retrouver intégralement sur SRCMSahaj Marg Decodage.